Quinten Jacobs est le nouveau penseur star du nord du pays
Le Soir, 30 oktober 2025
Il est de ces personnalités qui bousculent le paysage politique, qui inspirent. En Flandre, particulièrement, des intellectuels starifiés dans les médias influencent le débat public. Le dernier d’entre eux est l’avocat Quinten Jacobs, dont le dernier ouvrage passionne.
Présent la semaine dernière sur les plateaux de la VRT, interviewé également dans De Morgen, De Tijd, Humo ou encore Bruzz,Quinten Jacobs (26 ans) est le nouveau chouchou du débat public en Flandre. Avocat au sein du cabinet Eubelius, proche du CD&V, chroniqueur régulier du Tijd, et assistant professeur à la KULeuven, l’homme possède un sacré CV. Egalement membre du Groupe du Vendredi, un cercle d’intellectuels proche du monde politique, dont a fait partie Thomas Dermine, il était déjà assez écouté sur les questions de droit constitutionnel dont il est spécialiste. Mais son premier ouvrage, Het betonnen beleid (la politique du béton), paru la semaine passée aux éditions Ertsberg, vient de le faire passer dans une autre dimension.
Simplification institutionnelle
Dès le sous-titre, « pourquoi les politiciens ne peuvent pas résoudre nos problèmes », Jacobs donne le ton de son analyse, très dure envers le monde politique qui serait, selon lui, impuissant. Mais, appuie-t-il, tout cela ne serait finalement qu’assez peu de la faute des politiciens actuels. « Le célèbre sociologue allemand Max Weber a écrit un jour que la politique consiste à percer patiemment des planches épaisses. Il avait raison. Changer le pays n’est pas facile, se fait pas à pas et demande beaucoup de patience et de persévérance. C’est normal et même souhaitable. Si les hommes politiques pouvaient tout changer à tout moment, la dictature nous guetterait au coin de la rue. Mais dans notre pays, les planches épaisses se sont transformées en béton armé », explique Jacobs.
De quel béton parle-t-on ? L’avocat identifie trois composantes qui empêchent la bonne action du politique : une lasagne institutionnelle belge bloquante, une Union européenne très puissante mais peu démocratique et un rôle toujours plus important des juges, où les textes sur les droits fondamentaux empêchent parfois un changement politique. Sur la structure institutionnelle belge, Jacobs fait un constat déjà bien connu : les compétences éclatées entre niveaux fédéral, régional et communautaire posent problème. « Comment peut-on expliquer que la vitesse maximale autorisée sur les routes soit une compétence régionale, mais que le code de la route soit fédéral ? », interroge-t-il, avant d’évoquer la complexe répartition des compétences liées à la santé. Il pointe aussi un paradoxe du fédéralisme belge. Si le fédéral possède les plus gros leviers de recettes, laissant très peu de marge aux Régions, ce même niveau fédéral a beaucoup moins de dépenses une fois les dotations aux entités fédérées et à la sécurité sociale enlevées. L’absence d’une circonscription fédérale, qui permettrait aux Belges de récompenser ou de pénaliser un parti flamand depuis la Wallonie, ou un parti francophone en tant que Flamand, rend le tout peu démocratique, juge-t-il.
Quinten Jacobs propose donc un modèle « à quatre », qui supprime la distinction entre Communautés et Régions, avec quatre entités que seraient la Flandre, la Wallonie, Bruxelles (dont les institutions seraient fortement simplifiées) et Ostbelgien, en plus du fédéral. Jacobs invite à réserver les matières purement nationales (défense, sécurité sociale, justice) au niveau fédéral et à transférer toutes les autres aux entités fédérées. Les conflits de compétences seraient ainsi tranchés plus simplement sans « la jungle actuelle de commissions et accords de coopération », détaille-t-il. Il prône également la fin du factuurfederalisme, avec une régionalisation de l’impôt des personnes physiques, une répartition directe des amendes européennes vers l’autorité responsable et un mécanisme de sanction ( atoombom institutioneel) si une entité ne respecte pas ses obligations budgétaires européennes. Le système démocratique évoluerait aussi avec un système mixte à deux voix, inspiré de l’Allemagne. Une première voix locale pour élire 90 députés dans des circonscriptions locales, comme aujourd’hui, et une voix fédérale pour élire 60 députés sur une liste nationale unique.
L’article 23 de la Constitution
L’Europe aussi serait réformée. « Ni le climat, ni la migration, ni la sécurité énergétique ne peuvent être réglés à l’échelle belge. Il faut un cadre européen fort », détaille Jacobs. Pour cela, il privilégie des listes transnationales au Parlement européen, avec de vrais partis européens et un espace public commun. La commission, trop technocratique d’après l’avocat, verrait son rôle amoindri au profit de cette Europe fédéralisée et plus démocratique.
Tout juriste qu’il est, Jacobs consacre un chapitre très important à un « nœud essentiel » du débat politique actuel. D’après lui, le « rôle politique de la justice », empêcherait certaines réformes. Les droits fondamentaux, initialement un « bouclier », sont devenus une « épée » qui limite le législateur, développe-t-il. L’article 23 de la Constitution est notamment dans le viseur de l’auteur. Il inscrit, dans le béton législatif belge, le droit à mener une vie digne et impose à l’Etat de garantir plusieurs droits économiques, sociaux et culturels comme l’emploi, la sécurité sociale, le logement, un environnement sain, le développement culturel, etc. Il implique aussi que les droits sociaux et économiques ne peuvent jamais être réduits sauf pour « des raisons d’intérêt général ». Tout cela impose un statu quo, regrette Jacobs, car aucun gouvernement ne peut alors diminuer les aides sociales, assouplir la protection de l’environnement ou réduire les avantages liés au logement sans justification lourde. Jacobs y voit un déplacement du pouvoir législatif vers les juges, qui deviennent arbitres permanents de la politique sociale. Une grande réécriture de l’article 23 est nécessaire, affirme-t-il.
Avec cette analyse en trois points, et les solutions qu’elle impose, Quinten Jacobs apporte un nouveau souffle à l’analyse du débat politique, jugent les commentateurs flamands. Nouveau, vraiment ? Bart Maddens, politologue à la KUL, y voit lui plutôt un retour de la « doctrine Van Rompuy », avec des demandes historiques du mouvement flamand qui font le retour sur le devant de la scène. L’occasion de former un front flamand, note-t-il dans le Tijd, en vue d’une réforme de l’Etat en 2029.